Saison 1 - Episode 4 : La chair comme supplice, le désir comme prison.
Il fallait un certain culot pour lancer en France une collection DVD avec un titre pareil en ouverture. La Femme aux seins percés, réalisé en 1983, inaugura en effet la série “L’Âge d’or du Roman Porno japonais” éditée par Wild Side en 2010. Un film sulfureux, au titre choc et à l’esthétique troublante, qui illustre à merveille la fin d’une époque : celle du Pinku Eiga triomphant.
Porté par l’actrice Jun Izumi, ce récit de soumission et de dérive sadomasochiste condense toutes les ambiguïtés du Roman Porno Nikkatsu : provocation assumée, recherche esthétique, mais aussi un parfum de décadence qui annonçait déjà le déclin du genre dans les années 80.
Au début des années 1970, la Nikkatsu, plus vieux studio japonais encore en activité, trouve une solution de survie inattendue : lancer une série de films érotiques estampillés Roman Porno. C’est un pari risqué, mais il sauve temporairement la compagnie. Là où les grands studios peinent à rivaliser avec la télévision, la Nikkatsu attire à nouveau le public dans ses salles obscures grâce à une formule hybride : du sexe, oui, mais emballé dans des récits scénarisés, avec une véritable mise en scène, des actrices devenues icônes et une liberté artistique inédite.
Pendant une décennie, ce modèle triomphe. Des réalisateurs comme Masaru Konuma, Tatsumi Kumashiro ou Chūsei Sone signent des œuvres qui, au-delà de l’érotisme, explorent la société japonaise, ses tabous et ses contradictions. Naomi Tani, “reine du SM”, devient une star nationale, adulée et redoutée à la fois.
Mais à l’orée des années 1980, le vent tourne. La concurrence de la vidéo porno et de la consommation domestique de l’érotisme grignote progressivement les entrées en salles. Pour rester dans la course, la Nikkatsu pousse ses réalisateurs vers des thématiques plus extrêmes : bondage exacerbé, viols mis en scène, sadomasochisme sans fard. La frontière entre transgression artistique et exploitation commerciale se brouille.
C’est dans ce contexte qu’apparaît en 1983 La Femme aux seins percés, réalisé par Shogoro Nishimura. Artisan prolifique du Roman Porno, Nishimura est connu pour sa capacité à livrer, presque à la chaîne, des films calibrés mais efficaces. Avec ce titre, il illustre parfaitement l’ambiguïté de l’époque : un cinéma qui cherche encore à choquer, mais qui révèle aussi un essoufflement créatif, une fuite en avant vers le sensationnel.
La Femme aux seins percés se situe donc à un moment charnière : il n’a plus la flamboyance des années 70, mais pas encore l’abandon total du marché que connaîtra la Nikkatsu en 1988, quand la société finira par se retirer définitivement de la production Roman Porno.
Satsuki est une jeune infirmière travaillant dans une clinique de chirurgie esthétique. Célibataire, discrète, elle mène une existence apparemment banale. Mais cette façade tranquille se fissure lorsqu’elle commence à recevoir des roses anonymes d’un admirateur secret. Ce qui pourrait n’être qu’un jeu romantique tourne rapidement au cauchemar : droguée, violée, Satsuki est entraînée malgré elle dans une relation de domination où humiliation et soumission deviennent la règle.
Ce qui choque dans La Femme aux seins percés, ce n’est pas seulement le titre provocateur, mais bien la manière dont le récit s’enfonce pas à pas dans une spirale sadomasochiste. Le spectateur assiste à la lente désagrégation de la volonté de Satsuki, qui finit par accepter — voire désirer — sa propre objectification. L’une des scènes clés, où elle se perce elle-même les tétons, est à la fois grotesque et fascinante : elle condense en un geste le paradoxe du film, entre provocation gratuite et symbolisme troublant. Sans oublier cette autre scène au restaurant où, devant son amie abasourdie, Satsuki se met à genoux devant son amant, persuadée qu’il va lui uriner dans la bouche, comme il a pris coutume de le faire.
Visuellement, Nishimura choisit une mise en scène fonctionnelle, presque clinique. Les décors — une clinique, des intérieurs neutres — accentuent le contraste entre quotidien banal et perversion grandissante. La caméra n’a pas l’audace visuelle des grands Konuma ou Kumashiro : on est ici davantage dans l’efficacité que dans la poésie de l’érotisme. Mais cette sécheresse donne aussi au film un parfum dérangeant, presque documentaire, comme si l’on assistait à une étude froide de la soumission.
Au centre, l’actrice Jun Izumi porte le récit. Sa fragilité, sa manière de basculer de la peur à l’abandon, donne un relief particulier à un scénario qui aurait pu sombrer dans le ridicule. Elle incarne ce que le Roman Porno a toujours su capter : l’ambivalence des corps féminins, à la fois victimes et actrices d’une mise en scène qui dépasse leur simple rôle narratif. On y remarque également Nami Matsukawa qui, entre 1982 et 1984, apparaît dans une dizaine de Pinku, tel que Rope and Breasts de Masaru Konuma, réalisé également en 1983.
La Femme aux seins percés est un film paradoxal. À sa sortie, il ne fut qu’un titre de plus dans la longue liste des productions Nikkatsu, reflet d’une époque où le Roman Porno tentait désespérément de retenir un public en fuite. Mais avec le recul, il s’impose comme un témoignage précieux : celui d’un genre en fin de course, tiraillé entre sa volonté de choquer et son incapacité à se renouveler.
Son retour en France, presque trente ans plus tard, sous la houlette de Wild Side, lui a offert une nouvelle lecture. De simple curiosité sulfureuse, il est devenu objet patrimonial, jalon d’une collection qui aura eu le mérite de repositionner le Pinku Eiga dans le champ du cinéma à étudier, à archiver, à transmettre.
Ni chef-d’œuvre, ni navet, La Femme aux seins percés reste un film de contrastes : trop outrancier pour séduire, mais trop marquant pour être oublié. Et c’est précisément dans cette ambiguïté qu’il trouve aujourd’hui son intérêt, à la croisée de la provocation et de la mémoire.
À la semaine prochaine pour ouvrir ensemble une nouvelle porte rose du Japon.












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