22 décembre 2025

[SOCIETE & MOEURS ] TENGA : 20 ans d’une révolution (2005–2025)

Saison 1 - Episode 17 : Quand le plaisir devient pop !

Au début des années 2000, le marché des sextoys au Japon (et ailleurs) traîne une image contradictoire : omniprésence du porno, mais objets souvent vendus dans la gêne, avec des emballages “crus”, peu de garanties, et une esthétique qui renvoie davantage au mauvais goût qu’au bien-être. C'est précisément ce décalage qui va servir de déclencheur à TENGA : l’idée qu’un produit intime peut être conçu comme un objet de consommation grand public, propre, sûr, et même beau — sans demander aux gens de baisser les yeux au moment de l’acheter.

L’histoire commence avec Koichi Matsumoto, un Japonais né en 1967, formé en école professionnelle et passé par le métier de mécanicien automobile (supercars, anciennes, puis vente d’occasion). À       34 ans, il quitte ce parcours pour “créer quelque chose de nouveau”. Avec environ 10 millions de yens d’économies personnelles, il se lance seul dans un travail de conception, tâtonne, échoue, recommence — pendant près de trois ans — jusqu’à créer l’entreprise qui portera la marque. La légende maison (rapportée par TENGA dans ses pages corporate) insiste sur ce moment-charnière : juste avant d’être à court d’économies, il parvient à finaliser un produit viable et à fonder la société en mars 2005.


TENGA est officiellement établie le 25 mars 2005 (TENGA Co., Ltd.), et le lancement fondateur arrive très vite : le 7 juillet 2005, la marque sort ses premières TENGA CUPs. La date n’est pas anodine : “7/7” devient presque un symbole interne, une manière de marquer la naissance d’un nouvel objet intime, pensé comme un produit industriel sérieux. Le principe TENGA est déjà là : une forme simple, un usage clair, et surtout un design qui n’imite pas le corps — ce qui permet d’assumer l’objet sans passer par le registre du porno.

Ce qui fait basculer TENGA dans une autre dimension, ce n’est pas uniquement la performance, mais la stratégie de normalisation. Au lieu de vendre le fantasme, TENGA vend une expérience : hygiène, ergonomie, qualité des matériaux, mode d’emploi, et une identité visuelle qui évoque davantage l’électronique grand public que le sex-shop. L’entreprise revendique cette mission presque militante : “révolutionner l’industrie des adult novelties” et rendre le plaisir individuel moins honteux, plus lisible, plus “civilisé”. Même dans les descriptions produits, on retrouve l’insistance sur la conception (valve d’aspiration, mécanismes, confort), comme si l’objet devait d’abord être défendable par sa logique d’ingénierie.

La marque s’installe ensuite dans le quotidien par une idée simple : proposer des formats accessibles et facilement achetables. Un bon exemple est la gamme TENGA EGG, lancée en 2008, qui devient un produit “d’entrée” : petit, discret, parfois vendu dans des points de vente inattendus, et suffisamment simple pour être essayé sans engagement. Ce positionnement “low friction” (au sens marketing) contribue à ancrer TENGA dans la culture populaire : l’objet se banalise, et l’acte d’achat perd une partie de son poids social.



À mesure que TENGA grandit, elle diversifie aussi son discours : ce n’est plus seulement la masturbation masculine, mais l’idée de sexual wellness au sens large. La marque développe un écosystème (lubrifiants, accessoires, appareils réutilisables), et pousse une branche dédiée au plaisir féminin via iroha, conçue avec une approche plus douce, moins performative, et un design encore plus “lifestyle”. Cette évolution est souvent présentée par Matsumoto comme une correction d’un marché historiquement pensé par des hommes — et donc pas toujours aligné avec l’expérience réelle des femmes

Vingt ans après, en 2025, TENGA célèbre explicitement son anniversaire avec des opérations dédiées, dont une 20th Anniversary CUP (éditions spéciales et communication officielle). La marque ne commémore pas seulement un produit : elle raconte un “parcours” et une vision — celle d’avoir fait passer un sextoy du statut d’objet honteux à celui d’objet assumable, presque “design”, avec boutiques vitrines et collaborations. Cette célébration des 20 ans, très cadrée, confirme au fond la promesse initiale : TENGA veut être perçue comme une entreprise d’innovation et de bien-être, pas comme un simple acteur du X.

Ce qui rend l’histoire de TENGA particulièrement “japonaise”, c’est sa manière de transformer un sujet socialement délicat en problème de forme, d’usage et de qualité. Là où beaucoup de marques vendent du transgressif, TENGA a vendu du rassurant. Là où l’industrie s’enfermait dans l’imagerie explicite, TENGA a choisi l’abstraction. Et c’est peut-être ça, sa vraie réussite sur 20 ans : avoir compris que, pour changer les pratiques, il faut d’abord changer l’objet… et le regard qu’on peut porter sur lui.



À la semaine prochaine pour ouvrir ensemble une nouvelle porte rose du Japon.

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