06 octobre 2025

[FILM] La vie secrète de madame Yoshino de Masaru Konuma (1976)

Saison 1 - Episode 6 : Entre désir interdit et tatouage fatal.


Réalisé en 1976 par Masaru Konuma, La vie secrète de Madame Yoshino (Kashin no irezumi: Ureta tsubo) est considéré comme l’un chef-d'oeuvre du Roman Porno produit par la Nikkatsu. Porté par l’interprétation envoûtante de Naomi Tani, le film déploie en un peu plus d’une heure un drame intime où se mêlent désir, culpabilité et obsession, avec une élégance visuelle qui en fait une œuvre à part dans le genre.

Madame Yoshino, veuve après seulement six mois de mariage, vit avec sa fille Takako. Dans son quotidien méticuleux, elle fabrique des poupées de papier inspirées du théâtre kabuki, un art où les rôles féminins étaient traditionnellement joués par des hommes. Cette activité, à la fois minutieuse et symbolique, reflète son besoin de contrôle et de maîtrise, comme si chaque pli et chaque détail servaient à contenir ses blessures passées. Mais cet équilibre fragile se brise lorsqu’entre dans leur vie Hideo Ogata, un jeune homme dont le père, célèbre acteur de kabuki, avait autrefois abusé de Yoshino.






Rapidement, un triangle complexe s’installe. Takako cherche à séduire Hideo, avide de reconnaissance et d’attention, mais c’est vers Yoshino que le jeune homme se tourne, attiré par son charme énigmatique. La mère, quant à elle, est déchirée entre un désir qu’elle juge interdit et la culpabilité de son passé. La jalousie de la fille se transforme en ressentiment, et cette rivalité mère-fille devient le cœur dramatique du film, alimentant un jeu de regards et de gestes où chaque mouvement a valeur de trahison.

Les souvenirs du kabuki et les stigmates de l’agression initiale ressurgissent peu à peu, jusqu’à ce que Yoshino rencontre Tatsu, un tatoueur mystérieux. Dans une séquence marquante, elle se fait tatouer un serpent, symbole de protection et d’amour éternel. Ce geste devient une forme de rituel, un mélange de douleur et de plaisir qui traduit à la fois sa volonté de se réapproprier son corps et son basculement progressif dans une forme de folie. Le tatouage agit comme une métaphore du passé inscrit dans la chair, indélébile et toujours prêt à ressurgir.










Konuma choisit de mettre en avant la dimension tragique et psychologique de son récit plutôt que la violence ou l’humiliation sexuelle. Les objets et les symboles – les poupées de kabuki, les étoffes, les miroirs, le tatouage – donnent au film une profondeur supplémentaire, chaque élément contribuant à dévoiler une facette du personnage de Yoshino. La mise en scène, élégante et soignée, multiplie les plans d’une grande beauté, notamment la séance de tatouage empreinte d’onirisme, la révélation du motif inscrit sur la peau et la conclusion visuelle bouleversante avec le miroir brisé, qui reflète en kaléidoscope les différentes facettes d’une femme déchirée.

Le film met également en lumière la domination patriarcale qui marque la société japonaise de l’époque. Les abus de pouvoir, qu’il s’agisse d’un patron envers sa secrétaire ou de l’agression subie par Yoshino dans sa jeunesse, rappellent la vulnérabilité des femmes dans un monde structuré par les rapports de force. À travers son intrigue intime, le film dénonce sans discours frontal une réalité sociale oppressante.







À sa ressortie en France en 2006, la critique a souligné la richesse plastique du film et la performance tout en retenue de Naomi Tani. Olivier Père a d’ailleurs qualifié La vie secrète de Madame Yoshino de « véritable joyau érotique des années 70 », un avis largement partagé par les amateurs de cinéma japonais. Pour les spectateurs curieux de découvrir le pinku eiga sans passer par ses formes les plus extrêmes, ce film constitue une porte d’entrée idéale. Tragique sans outrance, sensuel sans vulgarité, il demeure un classique incontournable, où l’érotisme se fait langage poétique et drame existentiel.

Le film a par ailleurs été édité en DVD en 2008 par Arcadès Vidéo, dans une copie soignée qui permet de redécouvrir toute la richesse visuelle de l’œuvre. Cette édition propose en supplément un entretien d’une quinzaine de minutes où Masaru Konuma revient sur son métier et sa carrière. Ce témoignage précieux fera l’objet d’un autre article, tant ce réalisateur reste l’un des artisans les plus talentueux du genre.



À la semaine prochaine pour ouvrir ensemble une nouvelle porte rose du Japon.

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